TU SAIS QUE T’ES FAN DU JAPON QUAND…
OnJ’ai toujours considéré que je n’aimais pas le Japon mais plutôt quelques aspects très limités de la culture japonaise. Sauf qu’au bout de quelques années, quand t’ouvres ton tiroir à couverts et que tu y trouves plus de baguettes que de fourchettes, là tu te poses quelques questions… Je ne sais pas si les autres japanophiles se reconnaitront dans cet article mais en ce qui me concerne, voici les choses qui m’ont fait prendre conscience que j’avais franchi un point de non retour.
En guise d’explications, je mets un mini glossaire à la fin et quelques liens dans le texte. Bonne lecture!
Tu sais que tu es fan du Japon…
… Quand un gâteau à la fraise n’est plus un gâteau à la fraise mais un “short-cake“.
… Quand du poulet frit n’est plus du poulet frit mais du karaage. Ah oui, ça ne se prononce pas “caraje” mais “kala-aguè”.
Sur ces deux points, disons que les Japonais ont une façon de faire qui fait que même si ça ne reste qu’un “vulgaire” gâteau à la fraise/poulet frit/mayonnaise/sauce césar/etc aux yeux du commun des mortels, pour toi c’est un tout autre monde. Pour mieux expliquer l’idée, voici une petite mise en situation:
Tu invites des amis pour un diner bien japonais. Tu veux les surprendre avec un menu différent des sempiternels sushis ou makis et leur proposes donc des karaage suvi d’un short cake en dessert ; des “Oooooh” d’intrigue fusent dans la pièce. En entrée, tu sers soupe miso et salade algues/tofu, histoire qu’ils ne soient pas totalement déboussolés. Puis tu débarques avec tes karaage encore fumant. À ce moment là, l’un de tes amis* lâche d’un air désabusé :
Mais, attends… C’est du poulet FRIT?
Voilà. Tu leurs a vendus du rêve et tu as tout brisé en un instant… Eux pensaient que tu allais leurs présenter un koala en papillote dans sa feuille de bananier mais non, c’est “juste” du poulet frit.
… Quand on te dit que du dashi, ce n’est jamais que du bouillon Knorr goût poisson et que t’as envie de:
Même si au fond, la comparaison n’est pas si déconnante que ça.
… Quand tu ne comprends pas comment tu as pu passer tant d’année de ta vie sans rice cooker ni fontaine à eau chaude. Avant, quand tu n’en avais pas, ce n’était que des gadgets à tes yeux. Pourquoi dépenser plus d’argent quand tu as déjà ta bouilloire, ta casserole, ta cocotte minute et j’en passe… Et puis vient le jour où tu testes. Pour vous situer, c’est comme si vous aviez un Nokia 3310 et que, pendant une semaine, on vous le remplaçait par un Iphone 6. (Cela dit, je connais des gens qui n’aimeraient pas ce bond technologique)
… Quand tu prends un magazine (chez le médecin, chez le marchand de journaux, à l’aéroport, aux toilettes…) et que tu commences à le feuilleter par la fin. Par réflexe. (1)
… Quand tu places :
– des “naruhodo” quand tu viens de comprendre un truc, (2)
– des “omatase” quand tu arrives avec un peu de retard en salle de réu, (3)
– des “otsukare” quand tu te barres du taf le soir, (4)
– des “mendokusai” quand tu dois trier tes mails (ou tout autre truc chiant), (5)
– des “morai” ou “itadaki” quand tu piques un truc à quelqu’un, (6)
– des iyo-iyo, quand… le moment est arrivé. (7)
– des “giri-giri seifu” quand tu rentres en “Toutenkamon” dans la rame de ton métro au moment où le signal sonore retentit et que les portes se ferment. (8)
Bien sûr, quand tu sors ces expressions, t’as perdu tout le monde en un quart de seconde… mais pour toi, c’est naturel. Alors non, je ne dis pas “arigatou” pour remercier les gens ou alors “konnichiwa” pour les saluer ; je me limite vraiment à ces petits mots qui n’ont pas de réelle traduction mais qui en quelques syllabes expriment une pensée, un sentiment. Par exemple, je pourrais dire “désolée de t’avoir fait attendre, [je suis un peu à la bourre]” mais je trouve que “Omatase” ça glisse bien. Par ailleurs, la plupart de ces expressions s’adaptent bien dans un monologue (eeeh oui, il m’arrive souvent de parler seule – ou plutôt, réfléchir à haute voix)
… Quand tu ne dis plus “thé” mais plutôt “mugicha“, “houjicha“, “sencha“, “macha” et co.
“T’aurais pas vu mon houjicha?” (à mes collègues)
“Ton quoi ?!?”
… Quand tu n’utilises plus le terme “doubleur” ou “voix” pour qualifier le professionnel qui prête sa voix à personnage, mais “seiyu“. Cela dit attention, ça ne marche que pour les doubleurs japonais, une fois qu’on sort des frontières de l’archipel, c’est fini!
Exemple de l’anime “Les Chevaliers du Zodiaque” (“Saint Seiya” en v.o) : le personnage principal, Seiya, est doublé par Tōru Furuya en japonais et Eric Legrand en français. En d’autres termes, Eric Legrand est le doubleur de Seiya. Tōru Furuya, lui, est le seiyu de Seiya (hey mais c’est génial à dire ça! seiyu de seiya). Par contre, dans l’autre sens, ça ne fonctionne plus… bizarre, non?
Cette distinction est d’autant plus étrange que seiyu (声優) se traduit littéralement par “voix acteur”. Donc en principe, un seiyu est un doubleur, qu’il soit japonais ou éthiopien… bien qu’on n’utilise le terme “seiyu” que dans le premier cas. Dans le même ordre d’idée, pourquoi dit-on “anime” quand c’est japonais et “série d’animation/dessin animé” quand ça vient d’un autre pays? Bref, c’est litigieux un peu comme la “poire nashi”, nashi signifie déjà poire en japonais. Mais je digresse.
… Quand tu les connais, les seiyu, justement. Tu connais leurs noms, tu reconnais leur voix à chaque nouvel anime que tu mates, tu connais leur CV…
“Ah au fait, tu sais, le mec qui fait la voix de Gintoki là…?”
“Quoi, Tomokazu Sugita? Oui et donc? Qu’est ce qui se passe, il est malade?”
Voilà. Avant tu disais “le mec qui fait la voix de”. Même pas, avant tu disais rien vu que tu t’en foutais. Maintenant tu dis son nom direct. Ça te vient aussi naturellement que Manuel Valls ou Patrick Pujadas. Et au pire, quand tu connais pas le nom, tu te contentes de dire “le seiyu…” (say meeeEee♫ -> je sors)
… Quand ton collaborateur, japanophile marié à une japonaise, vient te voir pour te filer une boite en métal (je les collectionne) et qu’il te dis “alors ça [日本], tu vois, ça veut dire Japon“. Toi tu le regardes d’un air blasé et tu marmonnes “ça va, je sais lire.”
… Quand tu vas dans un restaurant japinois (japonais tenus par des chinois, avec les fameux sushi-maki-sashimi-yakitori) et que tu t’offusques de voir un client planter ses baguettes dans son bol de riz.(9)
… Quand tu manges dans des bols et avec des baguettes, à une fréquence anormalement élevée.
Personnellement, la façon de manger japonaise correspond à la façon dont je préfère manger et ce depuis fort longtemps : une large variété d’aliments (viande/poisson; légumes, féculents, soupe…); chaque aliment est séparé et souvent cuit dans sa plus simple expression (grillé/vapeur); pouvoir piocher dans chaque truc…
… Quand tu manges du tamago kake gohan sous les regards ébahis de la foule, en toute nonchalance. La foule en question, ça peut être des collègues, la famille peu importe tant que ce ne sont pas des Asiatiques.
Par exemple, tu es en déplacement avec plusieurs collègues et le soir au gîte, tout le monde s’ambiance pour des pâtes à la carbonara. Tout le monde sauf toi.
Déjà, quand tu leur sors un “non non, merci je vais manger autre chose”, ils te regardent d’un air suspicieux. Mais alors quand ils te voient débarquer avec ton bol de riz surmonté d’un oeuf cru au milieu. Priceless.
{Gros silence.}
Euh… tu manges quoi là? Te demande l’un d’eux (les autres n’en pensent pas moins).
C’est du tamago kake gohan, tu réponds innocemment, l’air de dire “Eh bien ça se voit, non?” (alors qu’en vrai dans ta tête, tu sais que tu l’a perdu looooiin dans les profondeurs abyssales)
Du coup, t’obtiens une réaction du genre :
En gros, tu sais que tu es la bête curieuse mais tu l’assumes et en joues, parfois.
Voilà, je pense que j’ai fais le tour en ce qui me concerne!
GLOSSAIRE
(1) Au Japon, on lit “de la fin vers le début”, de la droite vers la gauche. C’est le cas pour le mangas, les livres, les magazines, les journaux… Ce n’est pas systématique, cela-dit.
(2) L’expression naruhodo se traduit la plupart du temps par “je vois”, “je comprends”. Comme dans “aaah ok, j’vois c’que tu veux dire!”
(3) Omatase, de l’expression complète omatase shimashita signifie “désolé de vous avoir fait attendre” ou “désolé d’avoir mis autant de temps”.
(4) Ostukare, de l’expression otsukare sama (et en full version, otsukare sama deshita) est utilisé pour remercier, encourager. Cela signifie “merci pour vos efforts”, “bon travail”, “bien joué”…; au travail, au sport, partout où il y a cette notion d’effort fourni (le tsukare signifie par fatigue).
(5) Mendokusai est la contraction de mendou qui signifie “difficulté”, “problème”, “soin” et kusai, qui signifie “puant”. Donc mendokusai, c’est l’équivalent de “c’est chiant”, “c’est relou”, “ça me saoule”.
(6) Morai et itadaki pourraient se traduire par “merci” mais un merci espiègle. Exemple: vous faites un foot, votre adversaire perd la balle bêtement et vous, vous profitez de l’occasion pour la récupérer: “hey merci!”, vous lui dites… Bon, sans vouloir partir dans une longue description parce que le poste devient plus gros que ce que j’imaginais au départ: morai et itadaki signifient tous deux “recevoir”, “prendre”, “accepter” avec une notion de gratitude.
(7) Iyo Iyo signifie “enfin”. Mais pas “enfin” comme dans “D’abord blablabla, ensuite blablabla et enfin, blablabla” ; c’est le “enfin” de “Après 12h d’un vol interminable, le commandant de bord annonce ENFIN la descente de l’appareil sur l’aéroport!”. Dans le texte, je disais que j’utilisais cette expression quand le moment est arrivé: tu attends ou prépares quelque chose depuis des mois et enfin vient le moment.
(8) Giri Giri Seifu: giri-giri signifie “juste à temps”, “au dernier moment” et seifu (de l’anglais safe) veut dire sauf. Donc c’est un peu un “ouf, j’ai réussi” ou “ouf, j’ai eu chaud”. Dans le texte, j’utilise l’exemple du métro mais ça marche aussi si vous avez eu votre diplôme à 10,0001 de moyenne finale.
(9) Comme dans toutes cultures, il y a des usages et des codes de conduite. Planter ses baguettes dans son bol de riz est un gros DON’T au Japon.